Causeries données pendant la retraite de méditation de mars 2003 célébré dans le monastère d’ Angosto (Alava)
(Publiées en juillet 2006)
Un certain nombre de qualités propres à la nature de la Conscience fait d’elle un concept tout à fait remarquable. Grâce à elles, nous pouvons analyser la pratique méditative et même élaborer un modèle épistémologique de la réalité vraiment intéressant. La première qualité est que la Conscience est auto-lumineuse. La seconde est qu’elle dénote, en elle-même, un processus intégrateur. La troisième est que la Conscience, par elle-même et en elle-même, est insondable, y la quatrième est qu’elle possède une connotation de réalité simultanée.
1. Nature auto-lumineuse
Au sujet de la Conscience et de son caractère auto-lumineux, le Vedanta affirme qu’elle est elle-même la source de la Connaissance. Il n’y a pas de genèse de la Conscience par laquelle nous pourrions situer son commencement : il n’y a pas de qualité première par laquelle nous pourrions dire que sa connaissance implique le début de la connaissance. La Conscience est en elle-même un acte sans commencement, sans attributs, sans causes. C’est un processus hors causalité, puisqu’il émerge sans que la somme de plusieurs procédés ne soit nécessaire. La Conscience est en elle-même et par elle-même, et ne dépend que d’elle-même pour être et exister.
Même en considérant en profondeur le processus même de la Conscience, nous ne trouverons pas de raison pour que la Conscience soit, pour qu’elle existe. Nous ne trouverons non plus aucune qualité première, antérieure à la Conscience. La Conscience, en elle-même, existe par elle-même et n’a pas de cause.
Le fruit de la Conscience est la compréhension, laquelle a un synonyme : le discernement. On ne peut apprendre à connaitre ou à comprendre (au mieux on peut apprendre à réfléchir), car la compréhension repose sur une condition d’existence propre.
Cette nature auto-lumineuse de la compréhension existe chez tout être humain qui possède un système propre qui lui permette de comprendre de manière cohérente. La compréhension existe même dans l’erreur. Nous ne nous référons pas à la validité de l’information ou du jugement que nous portons au niveau mental, mais au fait que même une personne irraisonnable possède une compréhension pour valider ce qu’elle connait. Le Vedanta apporte simplement la constatation que la compréhension existe chez tout être humain. Tous les êtres humains comprennent mais personne ne leur a appris à comprendre. Cette compréhension survient d’elle-même, ainsi se reconnaitre et se savoir exister sont donc des qualités de la nature humaine.
De toutes les compréhensions potentielles qu’a l’être humain, la plus importante est celle de comprendre que nous existons. Nous savons que nous existons ! C’est quelque chose d’inaltérable, et qui nait de nous même. Cela survient dans le fait même de l’existence. Tout dans la nature tend à savoir qu’il existe. Aussi tout dans la nature a un niveau propre de compréhension.
Une autre qualité de l’existence est que nous ne savons pas d’où nous venons, nous ne savons pas pourquoi l’existence se produit. Et pourtant nous nous reconnaissons existant. Si quelque chose dans la nature humaine a la même qualité auto-lumineuse propre à la compréhension, c’est l’existence même. Nous savons que nous existons, ou, ce qui reviens au même, nous existons et nous savons. L’existence et l’êtreté, ont tous deux cette qualité auto lumineuse et existent en eux même.
La source de vie bouillonne partout, est partout. Elle s’organise de telle sorte, si majestueuse, que d’une manière ou d’une autre, la vie s’exprime toujours sous de nombreuses formes. Et dans toutes ces formes, se révèle la compréhension que la vie est supérieure à chacune d’elles.
La force d’existence est très intéressante. Mais, pour le vedanta, la force de la compréhension est beaucoup plus intéressante. C’est l’acte de savoir qui réside dans la Conscience même. Comprendre n’est ni penser ni raisonner. La compréhension est bien plus antérieure et fondamentale que les actes du raisonnement, du jugement ou de la synthèse mentale.
Pour raisonner nous avons besoin de l’expérience et d’une référence sur laquelle nous puissions établir la comparaison avec d’autres processus mentaux. Et pour réfléchir nous avons besoin de recourir à notre propre passé, afin de pouvoir porter des jugements. Cela est différent avec la compréhension. On pourrait croire que la compréhension est le fruit de la réflexion ; mais c’est juste au moment où termine celle-ci que commence celle-là. Il suffit que la réflexion et le mouvement dialectique cessent pour qu’à cet instant émerge la compréhension. Il n’y a pas de limite de causalité entre la compréhension et la réflexion. Nous savons qu’elle surgit au moment même où la réflexion dialectique cesse. C’est un acte profondément vivant et intéressant, unique et sans cause. Et nous affirmons que la Conscience est source de connaissance ou de compréhension.
Nous pensons et nous raisonnons, et nous croyons que c’est grâce à ces processus que nous connaissons. De même, nous avons des émotions et des passions, et nous disons que c’est par elles que nous connaissons. Personne ne peut nier la nature cognitive qu’implique l’appréciation du sentiment, de la passion ou de l’émotion. De même, personne ne peut nier la condition apparemment paradoxale de la pensée. Mais le Vedanta ne conditionne pas la compréhension à une réflexion préalable, ni à une émotion sensible ou passionnée.
Et pourtant, dans notre expérience quotidienne, le monde se déroule dans cet ordre, opposé à celui de la perspective du vedanta. Nous croyons que la compréhension arrive après un processus mental. Nous avançons que la compréhension qui arrive par une expérience sensitive, suppose obligatoirement l’expérience préalable de la sensation. Et bien souvent nous
croyons, de manière erronée, que la compréhension vient de la réflexion ou de l’émotion, sensitive ou passionnelle. Et cela et faux. La compréhension n’arrive pas de cette manière.
Le Vedanta affirme que la Conscience, ou le fait même de la compréhension n’a pas besoin d’une cause réflexive ou émotive. Il affirme qu’elle est simplement une réalité qui agit par elle-même et en elle-même, sans cause et sans possibilité de futur. Elle est, par elle-même. La conscience est la réalité ultime par elle-même. Le fait de comprendre va au-delà de la réflexion intellective que l’on a des choses. C’est un acte sans autres causes que lui-même. Nous nous trompons quand nous croyons que par une réflexion correcte nous comprendrons plus intelligemment. Bien sur, par la réflexion nous pouvons connaitre ; mais nous ne connaissons ni ne comprenons par la réflexion même. C’est précisément le contraire, la compréhension survient quand la réflexion s’est momentanément retirée. Et par l’attention, la compréhension arrive d’elle-même et en elle-même.
La compréhension ne peut se déduire, ni être une abstraction, ni se démontrer ou s’exposer. C’est un acte qui survient par lui-même. La proposition du Vedanta n’est pas que la compréhension vienne de quelqu’un qui comprenne. La compréhension, l’apprentissage, ne vient pas d’un sujet qui possède la propriété de raisonner, par laquelle émerge le savoir. Une des conséquences les plus novatrices de ce fait implique que la connaissance ne requiert pas la présence de quelqu’un qui la connaisse.
La connaissance, ou l’acte de la compréhension se situe au-delà de la nature momentanée et différenciée d’un sujet qui prétend posséder la connaissance. Le Vedanta, ainsi que notre expérience, affirment que la compréhension ne peut être comprise que par elle-même ; que le savoir ne peut être connu que par lui-même. Quand un être humain connait, ce qu’il saisit sont des relations d’informations différenciées. Mais ces relations ont des causes et elles dépendent toutes de conditions momentanées et relatives. Pourtant, ni la connaissance ni la compréhension ne sont dépendantes de ces circonstances. La compréhension est postérieure au relatif, bien qu’elle l’englobe. Et elle n’est pas le relatif.
Le Vedanta affirme que la compréhension est un acte totalement illimité qui ne peut être appréhendé par une condition limitative. Nous appelons cette nature limitative basique le « moi », l’ego ou le sujet. On pourrait croire que le sujet Connait mais cela n’est pas vrai. Il ne fait qu’entrevoir le souvenir du reflet d’une prodigieuse image de la réalité qui ne peut être connue qu’en elle-même et par elle-même.
Si la Conscience est auto-lumineuse, toute fraction de réalité qui rayonne sur un sujet ne fait qu’éclairer une circonstance momentanée, bien que celle-ci soit absolument valable, réelle et consistante. Tous jugement de valeur que nous portons sur une quelconque appréciation consciente de ce monde est changeant. Ainsi la qualité de compréhension de ce que nous percevons est généralement momentanée. Le type de compréhension que le Vedanta propose, c’est à dire le fait même de savoir, est très au-delà de la conception que l’être humain a de sa propre histoire. Nous formulons donc que le flux de l’existence est d’une telle envergure qu’elle montre de toute évidence que la
Conscience se connait elle-même, et que les traits lumineux dont nous faisons preuve lorsque nous portons des jugements personnels ne sont que les résidus de la luminosité resplendissante de la Conscience même.
Les jugements personnels que nous portons sur chaque objet que nous analysons sont toujours une représentation momentanée, ponctuelle, spécifique et relative. Le Vedanta cherche à « provoquer une connaissance qui se connaisse elle-même. ». Et nous savons que cette possibilité existe. Il existe une qualité de la compréhension dans laquelle elle se comprend elle-même. C’est une qualité telle que, quand elle est stable, réelle et unique, c’est une compréhension sans parties, c’est-à-dire dissociée du temps et de l’espace. Elle est la source de toute connaissance, elle est la connaissance même. Rien n’existe en dehors de cette compréhension, elle remplit tout, elle est tout et elle connait tout. Tout existe en elle-même. Ce type de compréhension est propre à la Conscience. Quand la Conscience connait à partir de sa nature propre, ce qu’elle connait est l’absence de différence avec ce qui connait. Elle contient un tel pouvoir de connaitre, d’apprentissage et de compréhension que son caractère illimité ne peut être connu que par elle-même ; et en elle-même, elle est illimitée.
La Conscience auto-lumineuse s’illumine elle-même, dépend d’elle-même et connait par elle-même. La Compréhension n’a de cause ni dans les objets, ni dans les fonctions ou réalités. Ce que le Vedanta nomme Compréhension ne doit pas être confondu avec ce que nous appelons habituellement la compréhension de nos propres réalités ou jugements. Nous utilisons le même mot mais ils ne signifient pas la même chose. Il est important de comprendre que la compréhension personnelle est fruit d’une qualité consciente individuelle. Nous ne pouvons porter de jugements que sur des situations associées à notre propre histoire. Aussi l’apprentissage qui se produit, les jugements qui surviennent, et les réalités qui apparaissent à travers les jugements émis, sont franchement personnels, relatifs et foncièrement changeants et dépendants de l’information personnelle de la mémoire.
La compréhension dont parle le Vedanta n’est pas cette compréhension personnelle, mais celle qui se comprend elle-même. Elle est très semblable à l’acte intuitif. L’intuition permet la compréhension momentanée d’une réalité, sans que se constitue une unité de temps et espace pour qu’elle ait lieu. La compréhension décrite dans le Vedanta ressemble à l’acte intuitif bien que cela soit plus qu’une simple intuition. La Conscience, en elle-même, est semblable à une sorte d’intuition qui a lieu dans toutes les situations possibles de connaissance. Alors que l’intuition est segmentée et orientée, la Conscience émet la connaissance et la compréhension en dehors du temps et de l’espace, en tout temps et toute direction. Cette connaissance est une compréhension qui connait tout. Pourtant l’intuition est déjà une merveilleuse compréhension segmentée, sans médiation mentale ni sensorielle, de temps ou d’espace.
La compréhension dont nous parlons n’est même pas la compréhension produite par la sensation. Parce que, bien que sentir produit une compréhension, de même que penser, il reste le problème que les jugements qui accompagnent ces compréhensions viennent exclusivement des possibilités qui existent déjà dans notre propre histoire. Et cela fait que le choix personnel, au moment de sentir, est momentané et relatif.
La compréhension dont nous parlons est une sorte d’intuition à tous les niveaux. C’est une compréhension qui connait sans aucune médiation tout ce qui peut être connu. Quand elle s’exprime de manière naturelle sous forme de connaissance, elle établit que connaitre est la connaissance qui circule en elle-même, qu’elle-même se connait elle-même, et que la Conscience est la seule chose valable en elle-même. Lorsque l’on perçoit à partir de cette perspective, on sait que tout existe sans cause, que tout a toujours existé et existera toujours. On sait que les choses sont et seront toujours, non pas à partir de la conception rationnelle, mais à partir du caractère de la non-limitation que la Conscience apporte à toutes ses propres appréciations.
Comment se génère cette qualité auto-lumineuse de la Conscience ? Elle se génère à l’instant même où cesse la fraction délimitante de la conscience individuelle, au moment où le caractère personnel se brise, où la conscience individuelle laisse sa caractéristique dialectique. Alors la Conscience pure et non différenciée se dévoile.
Le grand dilemme de cette proposition est que la Conscience ne peut être reconnue par personne différent d’elle. Elle ne peut être connue que par elle-même. Il est impossible de créer une qualité individuelle consciente qui sache ce que sont réellement les choses, car ce caractère personnel (qui est apparemment réel et profondément limitatif) ne peut considérer l’existence que par le filtre de ce qui a été perçu comme différencié.
Ainsi donc, le savoir que propose le Vedanta n’est pas un secret qui doit être découvert dans la vie, ni que l’on puisse dispenser. Ce n’est pas un savoir que l’on peut exprimer ou différencier. Le Savoir réel apparait au moment où cesse la différentiation de celui qui croit savoir quelque chose sur sa propre histoire. La Conscience connait par elle-même à l’instant même où le caractère conscient personnel cesse d’ajouter une différenciation dans la perception.
Tous les phénomènes de la nature possèdent un ordre intrinsèque, que l’être humain désire connaitre pour pourvoir le contourner. Mais cet ordre existe en lui-même. L’être humain est habitué à croire qu’il existe une conscience individuelle supérieure à tout autre état naturel. Pour lui, même Dieu doit être comme l’homme. Il est si profondément égoïste qu’il croit que le fait d’être conscient lui appartient. Cependant, il ne peut qu’élucubrer sur des situations qui existent dans sa propre mémoire et qui appartienne à son existence propre. Il croit que pour pouvoir savoir il doit faire l’expérience.
L’être humain croit qu’il existe un ordre dans ce que nous appelons « moi ». Mais où est le « moi » ? Pour être conscient du « moi », il faut se rappeler de l’histoire et porter des jugements. Ou, dit d’une autre manière, nous sommes notre mémoire. Alors, y-a-t’il conscience parce que le « moi » est conscient ? L’être humain croit qu’il y a “quelque chose” de conscient, mais en réalité il n’y a « rien » ni « personne » qui le soit. Il croit qu’il est conscient car il juge ce dont il fait l’expérience et, se basant sur cela, il se souvient et se croit intelligent.
Ainsi, les occidentaux ne comprennent pas la nature de la Conscience ; ils croient quelle signifie être conscient que l’on sait et que l’on existe. Evidemment, cet état engendre apprentissage et compréhension, mais de
nature telle qu’ils ne sont que l’ombre de la réalité, fondés sur des modèles d’expérience et de mémoire individuelles.
Le Vedanta parle d’une Conscience différente ; elle est en tout et pénètre tout. Elle est sous-jacente à tout élément, même le vide, qui peut être connu grâce à elle. Elle est également sous-jacente en tant que passé et futur, de manière à ce que ces dimensions paraissent réelles. Cette Conscience est extraordinairement subtile, extrêmement intelligente, et produit un ordre inimaginable et inaltérable. C’est un ordre sans cause, et qui représente une réalité sans hiérarchie, qui n’a pas besoin de l’espace et du temps pour que l’on ressente sa manifestation dans la nature ou dans l’existence individuelle.
Cet ordre existe à l’intérieur et à l’extérieur du corps, lorsque l’on inspire et expire, lorsque l’on nait, meurt ou vit. Il coule, vivant, intense, joyeux, il brille et génère la vie. Il est partout, devant et derrière, en haut et en bas. Il n’est pas fait de quelque chose de spécial, mais de non-chose, de non-parties, non-temps, non-espace, non-mot, non-proportions, non-limites. Il ne peut être vu, mais voit celui qui le voit.
Où est la nature consciente et individuelle d’un observateur momentanément absorbé dans un film, la lecture d’un livre ou un sport ? Et pourtant la compréhension est présente. Mais, qui connait dans ces moments ? La réponse est « Cela », Cela qui connait, la Conscience. La Conscience apporte vitalité, mouvement, réalité. Elle est auto-lumineuse, se connait elle-même et connait sans cause. L’être humain doit permettre que Cela se connaisse soi même, et pour cela il doit créer un état de perception libre de l’histoire et des frontières, libre des conditionnements égotiques. Nous devons apprendre à connaitre ce qui arrive, non ce qui est arrivé ou arrivera.
La Conscience est l’agent primordial, la base de la réalité, ce qui donne forme au monde et c’est la base du modèle soutenu par le Vedanta.
2. Qualité intégrative.
En principe l’Occident nous propose un modèle différencié de connaissance et d’analyse pour étudier la réalité que nous percevons. La méthode scientifique se base sur l’analyse détaillée des expériences et sur la normalisation des conclusions postérieures. Par l’observation, on essaye de trouver des lois qui en quelque sorte soutiennent l’observation. La science cherche à décrire l’observation de manière détaillée et précise, et pour cela divise, fractionne, et délimite la perception même. Ce modèle analytique, dissociatif et différentiateur, cherche à trouver la partie essentielle qui constitue chaque chose. Dans ce modèle la partie est importante mais pas le tout.
En Occident il existe essentiellement deux possibilités d’analyse de la réalité. L’une affirme que la partie est valable, c’est l’option adoptée par le modèle aristotélicien. L’autre donne plus d’importance au tout, c’est le modèle de Platon. Quand le tout est l’essence qui constitue la réalité des choses, nous appelons la réalité « archétype », lequel est antérieur aux parties possibles qu’il développe dans son dessein d’existence. Ainsi dans la proposition platonique le tout est fondamental, est dans celle d’Aristote, c’est la partie qui l’est.
La science a choisi de développer la proposition aristotélicienne, parce que le mental est un outil plus associé à la partie qu’au tout. Il fractionne, délimite et décrit les ressemblances qui existent entre les diverses parties qui constituent un tout, en privilégiant la partie. Cependant certaines écoles Occidentales non scientifiques tentent d’aborder le concept du tout, comme par exemple les systèmes inductifs tels que les mathématiques, la psychologie ou certaines écoles de philosophie -les idéalistes par exemple. Bien que d’autres écoles comme les réalistes ou les matérialistes abordent principalement la partie.
Le Vedanta, à l’inverse de ce que soutiennent les érudits occidentaux, n’est ni réaliste, ni idéaliste. En occident on le définit comme Idéalisme Métaphysique ou Abstrait, mais on ne peut pas dire que pour le Vedanta le tout soit important et pas la partie ou vice-versa. Pour le Vedanta les deux sont importants, mais ne sont pas fondamentaux. Le fait est qu’aussi bien la partie que le tout sont relatifs, parce que le tout finit toujours par être une partie d’un autre tout et la partie, une partie d’une autre partie.
Le dilemme posé par la perspective du réalisme aristotélicien ou celle de l’Idéalisme de Platon (considérant la partie ou le tout), est que toute étude réalisée sur quelque chose implique obligatoirement de délimiter et définir ce que l’on analyse.
Mais jusqu’à quel point la partie et le tout sont-ils analysables ? Quelles dimensions doivent avoir ce tout ou cette partie pour être analysables ? C’est une grande question sur laquelle nous buttons quand nous essayons d’aborder ce thème par la méthode scientifique occidentale. Par exemple dans l’Idéalisme, le tout peut être si grand que nous l’appelons « infini » ; mais il devient alors une fraction, parce que le mental ne peut en faire l’expérience. Dans le réalisme, il peut être si petit que nous devons nous plonger dans
l’abstrait et l’ »idéal » pour pouvoir l’analyser, comme c’est le cas avec la physique quantique. Dans cette dernière la majeure partie des processus sont clairement des abstractions idéales o des suppositions de probabilités.
Le grand problème des systèmes occidentaux c’est qu’ils sont différentiateurs. Par exemple, Platon analysait et se plongeait dans des considérations clairement arquétypiques. Il stipulait que « le tout est une idée préalable sur laquelle la partie se développe ». Il n’y a pas un tout qui circonscrive la somme totale du tout et des parties, de sorte que les parties qui constituent ce tout soient analysables. A la lumière de l’analyse occidentale, lorsque nous considérons la partie, nous arrivons à une description si petite, si schématisée et délimitée qu’on ne peut plus en faire l’expérience. Et dans ce jeu, l’Occident essaye de décrire comment est constitué le monde et tente de l’analyser, mais il n’existe pas de solution correcte, cohérente et unifiée.
Le Vedanta ne décrit ni la partie ni le tout, ni même les relations intégrales entre eux. D’emblée il ne suppose pas que l’univers soit composé de parties et c’est pourquoi pour lui le monde ne se développe pas à partir d’elles. De même, il ne considère ni ne définit l’univers comme un tout qui engloberait tout ce qui existe. Ainsi l’univers n’est considéré ni comme un tout ni comme une somme de parties, et donc l’analyse du tout et de la partie n’est pas nécessaire, du moins comme le propose l’Occident.
Le Vedanta propose quelque chose de spécifique et d’évident : la partie est une partie et on peut la connaitre comme partie, et le tout est un tout et est connaissable comme le tout. Mais il y a un élément commun à tous les tous et à toutes les parties, c’est que tous changent et se transforment et leurs frontières évoluent à travers le temps et l’espace.
Le Vedanta ne suppose ni que l’univers soit un tout essentiel ou primitif, ni qu’il soit en essence des parties qui constitueraient ensuite un tout. Il accepte l’évidence que les informations qui constituent la partie et le tout existent, bien sur. Mais ce qui n’existe pas pour le Vedanta c’est une information indépendante avec la capacité de connaitre le reste de l’information comme différente d’elle. Ou, dit d’une autre manière, le « moi » n’existe pas, et n’est reconnu ni comme partie ni comme tout, parce qu’il n’existe ni comme partie ni comme tout. C’est pourquoi la prérogative de l’étude et l’analyse de la réalité vient du fait que l’information existe mais n’est pas différenciable. Il n’existe pas d’agent qui puisse essentiellement différencier l’information, et ni lui ni l’information ne sont stables.
Le Vedanta ne suppose ni que l’information soit différenciée, ni que l’agent appelé « moi », ainsi que ce qui est connu par lui, soient stables. Car finalement, à travers le temps et l’espace, la représentation qu’il a de lui-même et de ce qu’il connait se transforme. Toutes parties ou tout est impermanent.
Le Vedanta affirme qu’il existe une réalité qui spontanément et naturellement soutient l’information, ne la différencie pas et l’intègre ; cette réalité est la Conscience. Même l’information est Conscience, ainsi que toute segmentation d’information délimitée de quelque manière que se soit.
La Conscience se manifeste comme information, mais sa nature essentielle est non-différenciée. Ainsi la Conscience est un acte intégrant qui empêche la différentiation de l’information. Elle semble différenciée de manière illusoire, mais en réalité l’information est non-différente.
Il existe d’autres forces intégrantes dans la nature et dans l’être humain, comme par exemple l’amour. Quand il agit, il la frontière qui sépare celui qui aime de ce qui est aimé se résorbe. Comme la Conscience, l’amour possède cette qualité particulière qui intègre ce qu’elle accueille. Lorsqu’on aime les parties n’existent plus. Celui qui aime se perd dans ce qu’il aime, et n’a d’autres possibilités que de se fondre dans ce qu’il aime. S’il aime constamment, l’être humain ne peut que se dissoudre et se non-différencier dans les actes qu’il réalise lui-même.
Ainsi, lorsque survient la compréhension, ce qui est connu s’intègre avec celui qui connait, car la non-différentiation entre celui qui perçoit et ce qui est perçu advient. Puisque l’information est Conscience, et que celle-ci est auto-lumineuse, sans cause et indépendante, le processus de la compréhension devient un processus libre de l’histoire, du temps et de l’espace. Ainsi l’information est toujours non-différente. Et puisque la Conscience est auto-lumineuse, qu’il n’existe rien antérieur à elle, et qu’elle n’a pas de cause, la Compréhension rend ce qui est connu non-différent de celui qui connait. C’est la conscience qui impulse l’état non duel ou non-différencié
Comme le réalisme, le vedanta cautionne l’idée qu’il existe une information indépendante de celui qui perçoit, et comme l’idéalisme, il affirme qu’il existe une information dépendante de lui. Mais le vedanta n’est ni idéaliste, ni réaliste. Il affirme aussi bien l’existence d’une information intérieure comme extérieure au sujet, mais il ne considère pas comme stable l’existence d’une qualité différenciatrice appelée sujet, qui se reconnaisse différente de ce qu’elle connait. Quand une goutte d’eau tombe dans la mer, on peut affirmer que la goutte est la mer, et la nature de celle-ci prévaut sur celle-là. Ou, dit d’une autre manière, le tout prédomine sur la partie. Si l’on acceptait que la goutte puisse être indépendante, limitée et petite, alors la partie prévaudrait sur toute autre condition. Le vedanta n’avance aucune de ces deux possibilités mais propose la non-différentiation. Et ainsi, aucune information n’englobe la connaissance de l’information restante, tout en se situant indépendante d’elle.
L’être humain, incorrectement, place toujours au coeur de ses jugement des limites différenciées, et sa compréhension est toujours associée à des éléments qui sont des parties d’un tout, ou sont des tous formés par des parties d’autres tous qui les multiplient. Pour le vedanta, la compréhension reconnait l’information qui est et sera toujours non-différenciée. Ainsi le concept du tout et de la partie n’est plus pertinent.
3. Nature insondable.
Lorsque l’être humain commença à chercher les éléments primordiaux sur lesquels construire un modèle de réalité de l’univers qu’il percevait, il trouva deux éléments : il les appela objet et sujet. Il n’y avait rien avant eux. On appelle objet et sujet ce qui est préalable à toute existence.
A partir de cette première approche, on commença à se demander lequel des deux était fondamental et apparurent alors les systèmes objectivistes et les subjectivistes. D’autres se demandèrent si la connaissance dépendait de l’objet ou du sujet, et apparurent alors les écoles réaliste et idéaliste. Toute la philosophie est formulée selon l’affirmation qu’il n’existe aucune entité préalable à l’objet et au sujet. De même il est impossible de percevoir le sujet ou l’objet de manière fractionnée : lorsqu’on perçoit quelque chose, c’est quelque chose, et celui qui le perçoit est quelqu’un. Cela parait évident mais il a fallu des siècles pour affirmer cela.
Mais bien que cela paraisse si évident, cela est faux. Nous avons construit une tour de Babel édifiée sur ces concepts, et cela a généré une grande confusion. Les modèles qui ont été proposés et construits (réalisme, idéalisme, dogmatisme, scepticisme, etc.) sont très proches des perceptions que nous avons des choses, et sont tous issus de l’affirmation de l’existence de l’objet et du sujet. Et tous ces systèmes sont d’accord pour dire que l’objet et le sujet sont la cause essentielle de la connaissance. Même la science et la psychologie sont imprégnées de ces propositions philosophiques.
Ces modèles produisent de nombreux paradoxes insolubles. Vouloir définir la réalité de l’univers en se basant uniquement sur l’appréciation d’un objet et d’un sujet engendre des paradoxes, des absurdités et des situations inconciliables. En nous basant sur l’objet et le sujet, nous ne pouvons décrire dans le détail qu’une partie de la réalité, momentanée et définie. Le vedanta accepte la proposition de l’objet et du sujet, mais de manière illusoire, momentanée et instable. Objet et sujet existent apparemment mais pas réellement. Nous faisons l’expérience de l’objet et du sujet, mais ce ne sont pas des entités indépendantes. En réalité, l’objet est non-différent du sujet et vice-versa.
Parmi les formulations qui décrivent le modèle non-duel, Patañjali tenta de discriminer ce qui délimite le sujet et l’objet, où termine l’un et où commence l’autre. Parce qu’il est évident que toute différenciation implique une limite, car si cette limite n’existait pas, l’information serait totalement indifférenciée. Les frontières sont nécessaires pour que la différenciation existe.
Mais avant de continuer nous devons définir ce que sont le sujet et l’objet. Dans la perspective du vedanta l’information aussi est consciente, et donc définir le sujet comme entité possédant la conscience ou comme celui qui peut se connaitre et connait, n’est pas suffisant.
Patañjali proposa une observation élémentaire en ce qui concerne les natures du sujet et de l’objet. Il affirma que le monde des objets se compose de tout ce dont on peut faire l’expérience au moyen des cinq sens, et que le monde du sujet est tout ce dont on fait l’expérience sans la présence
sensorielle dans la perception. La frontière sensorielle était donc établie. On appelle en sanskrit pratyahara la reconnaissance de cette frontière sensorielle et la possibilité de s’établir de manière stable et continue d’un coté ou de l’autre de cette frontière.
Ainsi, toute information connaissable par l’intermédiaire des cinq sens sera considérée comme objet, et tout ce qui peut être connu sans l’intermédiaire de l’interprétation sensorielle (les souvenirs, les évocations, l’imagination, les rêveries, le processus cognitif, etc.) sera considéré comme sujet. Nous voyons donc dans cette approche que le monde est connu par les cinq sens et interprété par le mental.
Cette petite formulation ne coïncide parfois pas avec la proposition occidentale, comme par exemple pour le corps. Pour le vedanta, et selon Patañjali, la perception du corps est considérée comme objet. Cela serait différent de « me souvenir de mon corps », car cela ferait partie de l’information qui n’est pas recueillie par les cinq sens et donc considérée comme sujet. Mais pour l’Occident, le corps serait considéré comme une partie du sujet. Par exemple, la respiration fait partie du sujet en Occident, mais est considérée par Patañjali comme objet puisqu’elle est connue au moyen des cinq sens. Cette idée de Patañjali est extrêmement intelligente, universelle et fine, et grâce à elle la description de la Réalité commence à avoir un ordre qu’elle n’avait pas avant.
Nous pouvons maintenant commencer à ordonner le monde que nous percevons d’une manière quelque peu différente de celle de l’Occident. Lorsque nous étudions le sujet, ce qui en ressort n’est pas une constatation de l’unicité du sujet, mais celle du sujet en train de connaitre des objets intérieurs. C’est-à-dire que lorsque nous nous déconnectons des cinq sens, des objets intérieurs apparaissent ainsi qu’un sujet qui les connait. Et lorsque nous percevons les objets externes, nous découvrons également quelqu’un qui les perçoit. Ainsi, il existe aussi un sujet qui perçoit et connait les objets externes au moyen des cinq sens, et il y a donc une grande diversification des objets et sujet qui font de ce processus un dilemme. Cela est comme essayer de découper un aimant : il y aura toujours deux pôles malgré tous les découpages que l’on peut faire. Quelle que soit la chose qui est connue, la dualité objet-sujet existe.
Ainsi, le Vedanta propose que si l’on affirme la distinction d’objets internes, pour chacun d’eux apparait un sujet interne qui connait. C’est le grand problème de la perception intérieure : il y aura toujours « quelqu’un qui connait », témoignant du « connu ». Ainsi on ne pourra jamais trouver réellement celui qui connait tant que l’attention sera mise sur les objets internes. Cela veut dire qu’au moment même où l’on désire définir celui qui connait, il apparait toujours un nouveau sujet qui considère le sujet antérieur comme un objet, et ainsi ad eternum. Ou, dit d’une autre manière, une pensée en amène une autre, qui en amène une autre, qui en amène une autre, successivement.
C’est alors que Patañjali proposa une idée tout à fait intelligente et raffinée. Dans le monde intérieur, si l’attention su pose sur le sujet et non pas sur les objets, cette forme de connaissance est insondable. La perception du
sujet intérieur est si intense lorsque l’attention retombe sur lui, qu’on ne peut examiner ce sujet, elle est si stable qu’elle en devient insondable. Cette expérience s’appelle dharana, c’est-à-dire concentration.
C’est la même chose dans le monde extérieur. Lorsque les cinq sens sont actifs, si l’observateur prévaut sur l’observé, la reconnaissance de l’observateur est si instable que l’interprétation de ce qui est observé se modifie. La solution à ce dilemme de la perception externe est la suivante : quand les cinq sens sont actifs, l’attention se pose sur les objets du monde, en empêchant que le sujet les interprète mentalement. Et à l’inverse, dans le monde interne : quand les sens sont déconnectés, le sujet doit être attentif à lui-même et non pas aux objets mentaux qui peuvent apparaitre ou émerger de la mémoire.
Ainsi nous avons deux possibilités pour se rapprocher de la méditation :
1. Lorsque les cinq sens sont actifs, nous sommes attentifs aux objets externes sans les interpréter.
2. Lorsque les cinq sens sont déconnectés, nous mettons notre attention sur le sujet interne, sans l’interpréter.
C’est ce qui s’appelle concentration ou dharana.
Par cette approche, nous désirons trouver une modalité de perception insondable, tant dans le monde interne qu’externe. Lorsque nous connaissons à partir de cette perspective, il n’existe plus une partie qui s’appelle sujet qui connaisse l’objet : ce qu’il y a c’est « quelque chose » qui connait en se connaissant. Cette perspective de la Réalité permet que la Conscience se connaisse et se contemple elle-même, exclusivement. Elle est absolument insondable par toute autre partie de l’information, elle seule se connait elle-même.
Cette caractéristique de la réalité : connaitre sans qu’une frontière ne sépare ce qui est observé de l’observateur, s’appelle non-dualité. Si dans le monde extérieur, l’on fait une appréciation des objets qui ont lieu, ceux-ci reconnaissent le sujet qui les connait, en se connaissant soi même. Alors, les objets et le champ qui s’établit connaissent. Nous appelons cela la concentration extérieure.
Ainsi donc, ce que nous recherchons sont deux choses élémentaires, basées sur la reconnaissance de l’objet et du sujet, partant de l’affirmation qu’il n’existe rien antérieur à l’objet et au sujet. L’Orient définie alors que le sujet est ce qui peut se connaitre sans intermédiaire sensoriel, et que l’objet est ce qui se connait avec intermédiaire sensoriel. Lorsque nous sommes exclusivement attentifs au sujet intérieur ou à l’objet extérieur, la perception devient insondable, non-duelle, et nous entrons dans la méditation véritable, que ce soit au travers du monde externe ou du monde interne. C’est la raison pour laquelle la Conscience est insondable.
4. Nature simultanée.
En résumé, le vedanta affirme en premier lieu que la Conscience est en elle-même auto-lumineuse. Elle connait car son essence est la connaissance même, et il ne peut exister de lien causal avec aucun élément qui serait antérieur à elle. La force de la compréhension vient de la Conscience. Personne n’apprend à comprendre.
La seconde affirmation est que la Conscience est intégrative. Ce modèle de réalité soutient qu’objet et sujet existent mais sont réellement non-différents. L’impulsion qui maintient l’absence de frontière entre sujet et objet vient de la force intégrative propre à la Conscience.
En troisième lieu nous soutenons que la Conscience est insondable, elle ne peut être objet de connaissance d’aucun autre élément antérieur à elle. Elle connait mais ne peut être connue. Et grâce à sa nature clairement intégrative, elle est finalement la seule qui puisse se connaitre elle-même.
Afin d’analyser le processus de « l’insondabilité » de la Conscience, le vedanta considère deux éléments qui sont la base de notre pratique méditative intérieure. Le vedanta affirme que l’on peut envisager le monde comme objet et sujets ou comme objets et sujet, mais qu’il n’existe rien de plus petit qu’objet « et » sujet. C’est-à-dire qu’il n’existe pas seulement un objet ou seulement un sujet, mais une dualité objetsujet, qui se maintient et peut se constater toujours et partout. Rien n’est antérieur à un sujet, puisque celui-ci est la qualité cognitive minimale, infime et primordiale. Par exemple, si quelque chose surgit à la connaissance du moi, c’est un sujet ou un objet mais jamais une moitié d’objet ou une partie d’objet. Nous considérons qu’une partie de cet objet est en elle-même un objet.
Le vedanta arrive donc à la conclusion que tout ce qui requiert l’intermédiaire sensoriel pour être perçu, jugé et évalué par le mental est un objet; et tout ce qui requiert l’absence de l’intermédiaire sensoriel pour être perçu et évalué par le mental est un sujet. Ainsi, est sujet tout ce qui n’a pas besoin des cinq sens pour connaitre, et est objet tout ce qui a besoin des cinq sens pour être connu.
Cependant, lorsque nous considérons le sujet dans son monde, c’est-à-dire quand nous nous trouvons dans le monde intérieur dans lequel l’intervention sensorielle n’est pas nécessaire, ce qui apparait n’est pas seulement le sujet, mais aussi les objets que connait ce sujet. Si l’attention s’oriente sur la nature des objets intérieurs, apparait alors un sujet qui connait ces objets intérieurs. Si le monde intérieur se transforme en une réalité différenciée, il en résulte que le sujet que nous rencontrons alors n’est pas le sujet basique de toute cette réalité différenciée. C’est un paradoxe mais c’est une réalité.
Mais nous pouvons même transformer ce sujet –lequel apparait quand nous mettons l’attention sur les objets intérieurs- en objet d’un autre sujet intérieur, et ainsi successivement. Et aucun de ces sujets n’est celui qui connait réellement. Ainsi l’expérience cognitive devient une recherche constante de « quelque chose » qui est en arrière, et qui connait « quelque chose » d’autre, qui se trouve devant.
Bien que la connaissance ait lieu à tout moment, nous ne pouvons pas trouver le dernier « sujet » qui perçoive. Ainsi le vedanta nous enseigne que tant que dans le monde intérieur, l’attention se porte sur les objets intérieurs au lieu de se porter sur le sujet, la dualité objet-sujet persiste. L’erreur est donc d’entrer dans le monde intérieur et de suivre les pensées, car tout ce que nous tirerons de cette expérience est mouvement, changement, transformation. Nous ne trouverons rien de stable. Le vedanta explique qu’à chaque fois qu’une pensée survient dans le monde intérieur, apparait alors un sujet associé à cette pensée, différent du sujet qui observe les pensées à distance.
Ainsi, le vedanta, qui recherche la stabilité et la réalité, choisit le sujet comme base d’attention et de compréhension dans le monde intérieur. Ce sujet qui a la capacité de percevoir à distance les objets intérieurs (qui n’est pas le sujet associé à ces objets, lequel est né au moment où l’attention s’est portée sur eux), est un autre sujet. C’est un sujet intérieur qui observe, dans l’état que nous appelons « observation ». Sans la permanence de l’observation, le mental serait à nouveau submergé dans un état de conscience appelé « pensées ».
La proposition du vedanta est la suivante : si nous dirigeons l’attention sur ce sujet intérieur – qui est un observateur qui se maintient à distance des pensées- cela génère une nature de compréhension si stable, qu’il devient impossible de transformer ce sujet en objet d’un autre sujet, et ce sujet intérieur devient insondable. Il est si stable que, en tant que sujet, et grâce à la compréhension qui vient de l’information contenue en lui, il est capable d’être objet de lui-même, et devient à cet instant simultanément objet et sujet.
Ainsi, grâce à la nature insondable de la Conscience, apparait une non-différentiation entre objet et sujet. Si l’on pouvait saisir la Conscience, c’est-à-dire s’il existait toujours une entité antérieure à tout ce qui est connu, et que cette entité puisse être objet d’une autre, encore antérieure, nous ne saurions jamais ce que nous sommes réellement.
L’insondabilité de la Conscience nous permet un type de pratique intérieure, dans laquelle il est nécessaire de se déconnecter au préalable des cinq sens. L’attention doit se porter doucement, naturellement et spontanément sur « celui qui connait » dans le monde intérieur, mais pas sur ce « qui est connu ». Face à la difficulté de pouvoir établir cette pratique facilement, nous pouvons faire une des choses suivantes :
• Attendre l’arrivée des pensées. Mettre en avant celui qui attend, au lieu de ce qui est attendu, a pour effet que le sujet l’emporte sur l’objet ; il en résulte une distance avec les pensées.
• Favoriser une « attitude » qui permettre de reconnaitre l’expérience de présence de l’observateur. Cela revient à être attentif à sa propre force de vie, à la représentation de vie qui existe en lui, à l’attention même ; c’est être présent. Être attentif à l’attention, c’est reconnaitre la nature consciente de l’existence : ce n’est pas seulement être présent en vivant, mais c’est également savoir que l’on est.
• Provoquer un état dans lequel nous n’associons aucune forme ou nom mental au sujet. C’est-à-dire ne pas créer de considération historique sous forme d’association de nom et de forme sur le sujet que nous observons. En faisant cela, nous empêchons l’apparition d’un complément dans le champ, c’est-à-dire l’apparition d’un objet. Nous interdisons au mental d’ajouter un nom et une forme au sujet, et par là même de juger. Nous appelons cette possibilité la « recherche constante du moi », car nous cherchons celui qui connait vraiment, quelle est l’entité vivante capable de connaitre.
Toutes ces pratiques visent à induire une attitude de présence du sujet vis-à-vis de l’objet. Le caractère immobile du sujet fait qu’avec le temps, l’expérience et la présence vive de la compréhension dans le monde intérieur, ce sujet devienne objet de perception de lui-même.
Lorsque nous créons une frontière qui délimite ce qui est par rapport à ce qui n’est pas (ou dit d’une autre manière, qui délimite ce qui est en soi-même de ce qui est en relation au monde), elle délimite la faculté de porter des jugements sur l’information contenue en elle. Ainsi, le sujet est capable de juger l’information suggérée par sa mémoire. De fait, on ne peut porter de jugements dialectiques ou logiques que de ce dont on a fait préalablement l’expérience.
Poser qu’il existe une limite cognitive entre sujet et objet, c’est-à-dire qu’il existe une réalité contenue par une frontière, signifie que l’on ne peut être conscient que de l’information existante au sein de cette frontière, et que celle-ci détermine. Si l’on veut déterminer une autre réalité, il faut constituer une autre limite ou frontière. Ainsi, dans la pratique, il est par exemple possible de passer de la perception d’une colonne à celle d’une fenêtre, ou d’un paysage à une couleur. Au moment où se délimite la frontière, émerge la capacité de réception du propre jugement.
C’est le mental qui établit les frontières, pas l’information. C’est pourquoi le mental est de « l’information qui constitue des frontières », qui établit des limites dans l’information même. Quand le mental crée une frontière, il délimite l’information connue vers l’information non-connue.
La Non-dualité est l’état selon lequel l’information ne peut être connue en essence par un sujet différent des objets qu’il connait. Il ne s’agit pas de l’inexistence de l’information, mais de l’impossibilité qu’un sujet puisse connaitre réellement les objets, le sujet étant sujet, et les objets étant objets. Il n’existe pas un sujet individuel immuable capable de connaitre les objets, car en essence, il n’existe pas de différence entre objet et sujet. Ceci est la non-dualité.
Le vedanta appelle “nom et forme” le potentiel limitatif instauré par le mental. Ainsi ce monde de perception dialectique est tout simplement un monde de noms et de formes, Maya est ce qui nous fait croire qu’ils sont réels et stables et Karma en est l’apparente permanence causale. Les noms et les formes, qui sont illusoires, semblent continus et permanents, et prévalent
grâce au Karma. En définitive, le Karma est de croire qu’un nom et une forme sont causés par un nom et une forme antérieure. Pour le vedanta, l’univers, tel qu’on le perçoit au niveau dialectique, et avec les frontières établies à ce niveau, n’est qu’un univers de noms et de formes qui évolue apparemment grâce au phénomène que nous appelons Karma.
Le mental ne crée pas l’information, il la délimite. L’information est déjà là, et de plus elle est Conscience, avec l’immense pouvoir intégratif qu’implique son auto-luminosité. Le monde différencié n’existe que parce que le mental délimite l’information. Au-delà de cette délimitation le monde est non-duel, non différent. Ainsi, puisque l’information est en elle-même consciente, lorsqu’elle s’associe à une frontière, cette information associée à une frontière est également consciente.
Mais en raison de la frontière, le système (qui est délimité au moment de rencontrer la dualité) ne peut être conscient que de ce qui est délimité, et le sujet ne peut être conscient que de sa propre limite, de sa propre histoire et de ses pensées. Il ne peut être « dialectiquement » conscient de ce dont il ne se souvient pas de lui-même. Nous ne pouvons être conscients que de ce que nous sommes, sur la base de ce dont nous nous souvenons.
Ceci implique la chose suivante : pour connaitre ce qui est au-delà de la frontière que nous établissons, (par exemple un objet externe) nous devons nous projeter par les cinq sens. Mais si l’attention se pose sur l’objet et non sur le sujet, la nature égotique du système qui est en train de connaitre ne s’active pas ; l’égo est présent en puissance mais pas de fait.
Ainsi, lorsque nous illuminons un objet externe par notre attention, la lumière du sujet devient momentanément inexistante. Lorsque nous observons un objet nous ne pouvons pas observer d’autre objet, ni le sujet. Ces expériences ne sont pas simultanées. La connaissance devient alors une espèce de séquence qui dévoile l’information, selon les limites dans lesquelles cette information est délimitée.
Le grand piège de cela est le mental, qui détermine la frontière délimitant l’information. Et lorsque, par l’attention se dévoile une autre information, laquelle est délimitée par certaines frontières, alors toutes les frontières potentielles qui délimitaient et établissaient cette information se dissolvent. En raison de ce processus mental, la perception du monde -depuis la perspective du mental- est nettement séquentielle, alors que la perception depuis la non-différence est simultanée.
Le vedanta recherche la connaissance simultanée, et celle-ci n’existe que lorsque le sujet devient objet de perception de lui-même. A ce moment là, il n’existe plus de frontière entre le sujet et l’objet, et cette perception est appelée Non-dualité.
En résumé, nous avons vu que la Conscience possède les immenses qualités d’être simultanée, insondable, intégratrice et auto-lumineuse. Cela génère en soi-même un modèle de réalité unique, spécial et exceptionnel, qui met en évidence que l’information a existé, existe et existera dans le temps et l’espace, bien qu’elle soit, en fin de compte, non-différente de celui qui la
connait. Il n’existe pas un sujet hors de la Conscience qui, étant indépendant d’elle, pourrait la connaitre et simultanément se connaitre soi-même Le vedanta utilise ces propriétés de la Conscience comme base de son modèle de la réalité.